Je m’excuse,
Auprès de toi, ma femme qui à tout laissé, tout subi, tout encaissé pour me suivre dans ma passion.
Auprès de toi, mon fils, que je n’ai vu grandir, à qui je n’ai pu offrir que de rares moments volés à mon travail.
Auprès de toi, ma fille, qui n’a jamais eu les mêmes cadeaux, les mêmes loisirs, les mêmes plaisirs que toutes tes copines.
Auprès de vous, mes petits enfants, à qui je vais léguer ronces, orties et graviers au lieu de jolis prés.
Auprès de vous, anciens, retraités toujours actifs, qui ont sué, bavé, serré pour tout me donner et dont je n’ai pu assurer la pérennité.
Auprès de vous, mes oncles, tantes et autres cousins qui ont supporté mes départs, mes retards et mes coups de cafard.
Auprès de vous, mes amis, qui avez toujours du et su vous adapter à mon calendrier.
Je m’excuse aussi, Auprès de toi, consommateur, grand berné comme moi, à qui je dois laisser un sale petit lait Bridé, frelaté et « mélanisé ».
Auprès de vous, marginaux, exclus ou simple gens qui ne comprendrez pas qu’on puisse gaspiller pour pouvoir subsister.
Auprès de toi, salarié concerné, qui par mon geste deviendra Polonais, Roumain ou Finlandais Ou les trois à la fois, au gré de mutations qui n’auront de raison que le pognon et l’action .
Auprès de toi, administratif, qui n’aura plus à te justifier de remplir du papier, si ce n’est au final un acte de décès. Auprès de vous, élus de tous cotés, qui n’aurez plus ma voix pour nous baratiner.
Et surtout, surtout, surtout, Spéculateurs, transformateurs, distributeurs, je voudrais m’excuser de vous ôter cet ultime plaisir, cette ultime jouissance : celui de m’écraser avec la pointe de vos pieds.
Aujourd’hui plutôt que dans un mois, six mois, un an, je m’auto détruit, je me fais Hara kiri.
Aujourd’hui, j’utilise mon dernier joker, mon dernier pouvoir : je choisi l’heure de ma mort.
Aujourd’hui je vais vider mon tank, comme on vide son sac.
Aujourd’hui, je vais ouvrir la vanne comme on s’ouvre les veines.
Je vais regarder calmement ce fluide vital et nourricier s’écouler lentement sur la terre qui l’a si généreusement généré…
Et je vais, sans tourments, m’endormir doucement, en espérant vraiment que je pourrais rêver à ce joli travail que j’ai toujours aimé…

Un producteur laitier anonyme.